L’étonnant portrait objet de cette étude a porté tout à tour les noms de David, Gros, Géricault, sans qu’aucun n’emporte jamais l’adhésion. C’est la rencontre, par hasard, avec La Mort d’Ugolin (Ill.1) de Fortuné Dufau exposé cet hiver au Musée de la Vie Romantique, qui nous a mis sur la voie. Du coup, sa découverte et son identification éclaire l’œuvre d’un des nombreux artistes restés dans l’ombre de David. Elle permet aussi, nous l’espérons, l’identification d’un des plus beaux et énigmatique portrait de nos musées de province : la Jeune femme au collier de jais du Musée Magnin de Dijon…
Fortuné Dufau est né à Saint-Domingue vers 1770 et serait arrivé à Paris à l’âge de douze ans où il entre quelques années plus tard dans l’atelier de David. Il voyage ensuite à Rome avec Girodet mais son apprentissage italien est interrompu par les guerres révolutionnaires qui l’entrainent en Belgique puis en Hongrie où il est fait prisonnier. Dès son retour en France il débute au Salon de 1800 avec sou Ugolin et continuera d’y exposer jusqu’en 1819. Peintre d’histoire, il fait partie des portraitistes de Napoleon et occupe après la Restauration la fonction de professeur de dessin à l’Ecole Militaire. Il meurt dans la misère en 1821.
Son tableau le plus important: La Mort d’Ugolin conservé au Musée de Valence et signé « L. David, Rome 1786 » a pendant longtemps été considéré comme de David. Bien que ses principaux biographes aient émis des réserves sur l’attribution (Irène de Vasconcellos en 1925, Louis Hautecoeur dans sa monographie sur David en 1954), il fallut attendre 1968 pour que Robert Rosenblum découvre la vraie paternité de la toile. Grâce à la description du tableau dans un compte rendu anonyme du Salon de 1800 : Coup d’œil sur le Salon de l’An XVIII, il établit que l’œuvre était en fait de Fortuné Dufau, la signature ayant été modifiée de David à Dufau.
En plus du tableau de Valence, quelques unes de ses œuvres sont conservées – pour la plupart en réserves – dans les musées français: Gustave Wasa haranguant les Dalécarliens (Ill.2) au Musée des Beaux-Arts de Marseille, La Mort de Cléopâtre au Musée de Pontoise, un Portrait de Jean-Pierre Ricard au Musée de Montblanc (Non localisé) et le portrait de Paul et Alfred de Musset au Musée Carnavalet (Ill.3). Les inventaires de Salon mentionnent eux Le Joueur (1801), Saint-Vincent de Paul (1808) et plusieurs portraits individuels ou de groupe. Enfin ont été identifiés sur le marché de l’art, à Lyon un Portrait de trois jeunes sœurs (Ill.4) signé et daté 1815 ; et à Paris : Un Portrait de la Vicomtesse de Rochénégly (1819) et un Portrait d’homme (1821).
Notre petit tableau trouve naturellement sa place dans ce corpus. Tout d’abord pour sa ressemblance avec La Mort d’Ugolin. On retrouve dans le tableau de Valence la même matière grumeleuse très dense et son application comme tamponnée visible sur le torse d’Ugolin (Ill.5 et 6). Dans les deux toiles le rendu des chaires livides aux plaques de gris sous-jacentes crée un jeu d’ombres et de lumières très contrasté, donnant une atmosphère morbide – radicale dans le Ugolin ou plus subtile dans notre petit tableau. La définition des formes présente également de nombreuses analogies. Les draperies sont lourdes, pesantes et gagnent du volume là aussi grâce au puissant jeu d’ombres. Quant au dessin, des similitudes apparaissent dans le tracé presque naïf des corps : les membres manquent de relief, leur contours sont un peu raides et l’articulation des mouvements n’est pas parfaitement harmonieuse. À l’image des petites mains boudinées du sujet de notre portrait et des enfants d’Ugolin.
Le paysage de notre petit tableau évoque lui une autre œuvre connue de l’artiste : le Portrait de trois jeunes soeurs passé par le commerce d’art lyonnais (Ill.4). L’environnement y est très sombre, les nuages noirs, éclairés par des traits de lumière rougeâtres donnant une atmosphère crépusculaire presque inquiétante. Le gout de l’artiste pour les portraits d’enfants mérite d’ailleurs lui aussi d’être souligné (trois sur dix œuvres connues), tout comme la proximité du canon entre les deux enfants Musset du tableau de Carnavalet et notre énigmatique modèle.
L’ajout de notre petit tableau au corpus de l’artiste devrait permettre de lui en rendre un autre et de lever le mystère de La Jeune fille au collier de jais. Chef d’œuvre du Musée Magnin à Dijon, considéré d’abord comme David puis Gros avant d’être déclassé comme un anonyme proche de Géricault. Là encore, les parentés avec notre portrait d’enfant sont nombreuses : matière, intensité, draperies, couleurs… La jeune fille au collier de jais serait-elle le chef d’œuvre de Fortuné Dufau ?